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Un robot ver de terre… pour la Lune


Avec son robot inspiré du ver de terre et des serpents, l’équipe de Polytechnique Montréal et de l’Université du Manitoba (Mahdi Alaei et Nan Wu) envisage de fournir aux agences spatiales et compagnies commerciales actives dans le domaine de l’exploration planétaire un outil pour scruter le sol lunaire/martien en vue d’y établir des infrastructures. (Photo : Lumbricus terrestris Linnaeus par Donal Hobern, CC BY 2.0)
Pour l’instant, il n’existe que sous la forme d’un croquis, mais d’ici quelques années, un robot développé à Polytechnique Montréal pourrait bien inspecter le sol lunaire. C’est du moins l’objectif de Pre Pooneh Maghoul et de ses collaborateurs et collaboratrices de l’Université du Manitoba qui testeront, au cours de la prochaine année, un premier prototype.
La plus jeune empreinte d’un pied humain sur la Lune soufflera bientôt ses 50 bougies – façon de parler –, mais elle aura bientôt de la compagnie. Avec son programme Artemis, la NASA souhaite permettre à une nouvelle génération d’humains de fouler le sol lunaire… et peut-être même d’y habiter.
Avant d’en arriver là, il faudra d’abord identifier l’endroit optimal pour accueillir un premier établissement humain. Le site doit d’une part offrir des conditions climatiques tempérées, mais aussi, et surtout, une source d’eau.
Plusieurs cratères localisés aux pôles de la Lune répondent à ces critères. Ceux-ci cacheraient pas moins de 600 millions de tonnes d’eau sous forme de glace, soit assez pour remplir 240 000 piscines olympiques.
Des zones d’ombre persistent toutefois avant de démarrer un tel projet d’établissement.
C’est que la grande majorité des outils d’exploration utilisés par les agences spatiales ne scrutent la Lune qu’à distance. On ignore presque tout de ce qui se cache sous sa surface. Est-ce que le sol est poreux ou dur comme de la roche? Quelle proportion de glace et de minéraux contient-il? Quelle épaisseur de sol trouve-t-on au-dessus de la roche-mère? Et finalement, quelle portance offrirait ce type de sol si on voulait y assembler une structure suffisamment grande pour accueillir des humains?
Les réponses à ces questions pourraient bien venir d’un robot conçu à Polytechnique Montréal. Un robot inspiré de la locomotion d’animaux fouisseurs comme le ver de terre, le serpent et le lézard cornu, capable d’ameublir le sol pour s’y enfouir et analyser ses propriétés.
Un robot oscillateur
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Pooneh Maghoul, professeure agrégée au Département des génies civil, géologique et des mines à Polytechnique Montréal, pilote ce projet qui implique également des chercheurs et chercheuses de l’Université du Manitoba. Le groupe espère tester d’ici quelques mois un robot bioinspiré des animaux qui s’infiltrent dans le sol par des cycles de contraction et d’étirement ou par la simple oscillation de leur corps.
« Les systèmes de carottage qu’on utilise sur Terre sont beaucoup trop gros pour être mis dans une fusée et envoyés sur la Lune », explique Pre Maghoul. « Chaque kilogramme coûte environ 1 million de dollars à déplacer, alors il faut développer des technologies compactes et légères pour analyser le sol là-bas. »
Pour y arriver, le groupe prévoit fabriquer un robot à l’allure d’un obus pesant 5 kilos tout au plus, et long de 30 à 50 centimètres, batteries incluses. Il sera doté de caméras, de capteurs de pression et de dispositifs lui permettant d’identifier la nature des minéraux et des molécules contenues dans le sol. Sa tête, similaire à celle d’un ver de terre ou d’un serpent, agira comme sonde en s’enfouissant profondément dans le sol. Sa queue, elle, renfermera des batteries. C’est entre ces deux sections que la magie s’opèrera.
À cet endroit, quatre dispositifs qui se contractent, s’étirent et vibrent latéralement sous l’action d’un courant électrique animeront l’objet. Ce sont des « transducteurs piézoélectriques », des moteurs en quelque sorte qui transforment un signal électrique en énergie mécanique grâce à des matériaux qui changent de forme sous l'action d’un courant.
Dans la nature, certains serpents oscillent frénétiquement pour s’enfouir dans le sable. « Ce qu’ils font, c’est qu’ils fluidifient le sol », explique Pre Maghoul. « Les plus grosses particules sont défaites en plus petits morceaux, ce qui réduit la résistance du sol. »

Les quatre moteurs piézoélectriques du robot lui permettront de vibrer de façon longitudinale pour reproduire les mouvements du ver de terre, et de façon latérale comme le font certains serpents. (Crédit : Mahdi Alaei, Pre Pooneh Maghoul et Dr Nan Wu)
Ce robot utilisera la même astuce, et ce, même s’il rencontre un sol granulaire très dense. C’est que le robot vibrera à de hautes fréquences, proche des ultrasons. Qui plus est, il adaptera sa fréquence de vibration au type de sol rencontré pour maximiser son efficacité de pénétration dans le sol.
« En activant ces dispositifs simultanément ou de façon séquentielle, on devrait créer différentes formes de vibration », précise Pre Maghoul. En synchronisant la vibration de ses quatre moteurs, le robot vibrera de l’avant à l’arrière comme un marteau-piqueur. En décalant les vibrations, on obtiendra plutôt des oscillations latérales qui rappellent celles utilisées par des serpents pour ameublir le sable autour d’eux afin de s’y enfouir.
Le groupe espère fournir aux agences et aux compagnies commerciales spatiales un robot capable de creuser à 1-1,5 mètre de profondeur. « Ce serait déjà un grand succès parce qu’on ne connait presque rien du sol lunaire à cette profondeur, et surtout pas à haute résolution », confie Pre Maghoul.
De la Lune aux régions éloignées
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Si le projet amorcé par Pre Maghoul et ses collaborateurs et collaboratrices vise la Lune, littéralement, il pourrait aussi avoir des retombées sur Terre, notamment dans le Grand Nord canadien ainsi que dans les parcs à résidus miniers.
Là-bas, le pergélisol fond alors qu’il devrait en principe rester gelé en permanence. Impossible de savoir avec certitude à quel point les habitations et les infrastructures en place seront affectées par ces changements. Impossible non plus de prévoir de nouvelles installations sans une analyse approfondie du sol pour évaluer la portance qu’il offrira dans 10, 20 ou 50 ans.
Comme pour la Lune, on aimerait éviter de déplacer de l’équipement de carottage lourd et volumineux pour analyser le sol. Des solutions compactes comme celle de robots seraient les bienvenues.
D’ici à ce que pareil outil soit disponible, Pre Maghoul contribue au développement d’une autre technologie peu invasive d’analyse des sols. Elle nous en parlait l’automne dernier dans ce texte du Labo 2500 et dans cet article du magazine Poly.
En savoir plus
Fiche d'expertise de la professeure Pooneh Maghoul
Site Web du Département des génies civil, géologique et des mines
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