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Par Catherine Florès
2 mars 2019 - Source : Magazine Poly  | VersionPDFdisponible (Hiver 2019)
2 mars 2019 - Source : Magazine Poly
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Pre Catherine Morency avec des étudiants

Les travaux menés par l’équipe de la Pre Catherine Morency ont beaucoup contribué au fait que la mobilité se pense aujourd’hui, au Québec, autrement qu’il y a une dizaine d’années. Cette experte réputée, titulaire de la chaire Mobilité et de la Chaire de recherche du Canada sur la mobilité des personnes, au Département des génies civil, géologique et des mines, explique comment une mobilité repensée pourrait réduire les impacts négatifs des modes de déplacement sur la qualité de l’environnement et des milieux de vie, voire répondre positivement à des enjeux de santé, d’économie et de cohésion sociale qui touchent de plus en plus les centres urbains.

Apparition de la notion de mobilité équitable dans les réflexions sur les déplacements

« Les impacts environnementaux des modes de transport ayant fait l’objet de nombreuses études au cours des années précédentes et étant dorénavant plutôt bien cernés, nos travaux se concentrent actuellement sur la question de l’équité : l’équité de l’accès au transport en commun et dans le partage de la rue, de même que ses impacts sociaux et sur la santé, déclare la Pre Catherine Morency. Nous travaillons en parallèle au développement d’outils pour planifier et mesurer les impacts des décisions et des politiques de transport, ainsi qu’au développement de méthodologies efficaces de collecte et valorisation des données. »

L’éventail des solutions de mobilité s’est notablement élargi avec l’apparition des services de transport à la demande, d’autopartage privé, de vélos et de véhicules en libre-service ou encore de forfaits intégrés associant différents services et les transports en commun. À cet égard, on peut considérer Montréal comme un grand laboratoire de la mobilité, relève la Pre Morency. Mais cette multiplication des modes de déplacement soulève la question de leur place dans la mobilité quotidienne. Sont-ils en compétition ou s’insèrent-ils dans une vision intégrée de la mobilité ?

« Les connexions entre tous ces modes ne sont pas toujours optimales, ce qui ne simplifie finalement pas la vie des usagers. Il faut réfléchir à la conception de réseaux multimodaux plutôt que tenter de relier uniquement des modes et services planifiés de façon indépendante. L’intermodalité ne doit pas se restreindre à l’interconnexion des réseaux de transports publics, tel un système fermé, mais intégrer les autres modes sans les mettre en concurrence, qu’ils soient publics comme privés, ou qu’ils soient individuels, comme la marche, l’auto ou la bicyclette personnelle. Et surtout assurer que tous les voyageurs ont accès à plusieurs alternatives pour se déplacer entre le point A et le point B. »

À la nécessité de se focaliser sur tous les besoins des voyageurs, s’ajoute celle de combler la disparité entre la situation au coeur de la ville, plus riche en solutions alternatives à la voiture individuelle, et celle des territoires périphériques, où cette offre est souvent sévèrement limitée, constate la Pre Morency, qui est entrée au conseil d’administration de la Société de transport de Montréal (STM) l’an dernier. « D’où mes projets de recherche pour développer de meilleures connaissances des impacts de tous les modes de déplacements et des interactions à prévoir entre eux, afin de pouvoir éclairer les décisions stratégiques et identifier des solutions adaptées à différents contextes, urbains, périurbains et ruraux. »

Outils numériques d’aide à la décision pour améliorer l’expérience des usagers

Un des remarquables apports des projets menés par les deux chaires de la Pre Morency réside dans la création d’outils logiciels de simulation précis et fiables pour évaluer les impacts des décisions relatives aux transports. Ainsi, la récente plateforme de simulation des transports en commun et alternatifs sur laquelle l’équipe de recherche travaille, permettra de modéliser les impacts de projets, comme le prolongement de la ligne bleue, la ligne rose et le Réseau express métropolitain (REM).

« Cet outil simule les déplacements selon les différents scénarios d’offre de transport, en intégrant des fonctions de calculs de trajets sur les réseaux, les distances de marche sur le réseau piétonnier, les temps d’attente, la fréquence des correspondances, mais également le temps des déplacements tel qu’il est perçu par différents types d’usagers. Il nous permet d’évaluer les impacts de différents scénarios et de les comparer en vue de mieux soutenir la prise de décision. Il bonifie en outre l’enseignement des futurs professionnels en transport. »

Pour une mobilité plus raisonnée

Convaincue que c’est en offrant davantage de choix qu’on pourra diminuer l’usage de la voiture solo, la Pre Morency est cependant très consciente de l’influence des ressorts psychologiques sur les choix de modes de transport.

« Si on optimisait les déplacements comme on optimiserait une chaîne de montage, avec rationalité, les décisions à prendre seraient évidentes. Mais à l’échelle d’une ville, la question de l’efficacité se heurte aux choix individuels et aux perceptions. C’est long à changer. Jérôme Laviolette, un de mes étudiants au doctorat codirigé par le Pr Owen Waygood, étudie actuellement cet aspect. Par exemple, il a rencontré des cégépiens pour connaître leur perception de l’automobile et leurs aspirations. »

Les impacts économiques du choix de l’auto solo sont conséquents. L’engorgement à Montréal a fait perdre 75 millions d’heures aux automobilistes entre 2011 et 2016 et entraîné une surconsommation de 7 millions de litres de carburant, selon CAA-Québec.

Parmi les aberrations relevées par Catherine Morency, il y a, par exemple, le taux d’occupation actuel des véhicules, qui s’enregistre à son niveau le plus faible le matin en pleine période de pointe. « En fait, ce sont les sièges vides qui causent la congestion ! Il y a aussi le problème de la gestion de l’espace, avec l’engouement croissant pour les gros véhicules tels que les SUV. Les véhicules, de plus en plus gros et de plus en plus vides, occupent de l’espace public inutilement, qu’ils circulent sur les voies ou qu’ils soient stationnés. »

Il se joue de fait une compétition entre les modes de transport, les usages, tels que les terrasses, et les usagers, comme les piétons, pour accéder à l’espace sur le réseau, avec un déséquilibre en faveur des automobiles. Élargir les autoroutes ne fait qu’aggraver les impacts sur les infrastructures de la métropole, avec plus de véhicules au final sur les ponts et dans les rues. À l’inverse, des couloirs réservés au transport en commun, et des services plus nombreux pour ceux-ci, augmenteraient la capacité de déplacements de personnes et contribueraient à contrôler la congestion. »

Inutile d’attendre une résolution de ces problèmes par l’électrification des transports ou les véhicules autonomes, souligne-t-elle. « Ces technologies seront des accélérateurs de changements, mais il faut avant tout développer une vision globale et à long terme. »

Redonner une plus grande place aux piétons et aux cyclistes dans le partage de la rue

Cette vision devrait également intégrer les modes actifs comme la marche ou le vélo, qui demeurent encore très négligés par les politiques de transport, bien que nombre d’études démontrent clairement leurs avantages en termes de consommation énergétique et de santé publique.

« Ici se pose le problème de la sécurité routière, car ces usagers sont très vulnérables et paradoxalement rarement mis en haut de la hiérarchie dans la conception des infrastructures routières ; ils se trouvent ainsi mal protégés et en situation de risque par rapport aux autres usagers. C’est aussi le manque de sécurité qui explique que peu d’enfants se rendent à pied ou à vélo à l’école quotidiennement. »

Les enjeux sociétaux, comme le vieillissement de la population, ou la volonté de retenir les familles en ville pour éviter l’étalement des banlieues, demandent des connaissances plus pointues sur l’influence de l’environnement urbain, comme le potentiel piétonnier des quartiers notamment, sur les comportements des piétons ou des cyclistes, indique la Pre Morency, qui a fait entrer des urbanistes ainsi qu’une économiste dans son équipe d’étudiants et de professionnels de recherche en génie des transports. Cette collaboration nous amène à un plus haut degré de réflexion et à une vision plus systémique. »

 

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