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Des images pour mieux soigner

Portrait de Professeur

Par Catherine Florès
28 mars 2021 - Source : Magazine Poly  | VersionPDFdisponible (Printemps 2021)
Frederic Leblond

Pr Frédéric Leblond, Département de génie physique

Saviez-vous que le concepteur du « crayon laser » détecteur de cellules cancéreuses, spectaculaire avancée pour la chirurgie oncologique, s’était destiné dans sa jeunesse à suivre les pas d’Albert Einstein plutôt qu’à révolutionner le domaine de l’imagerie médicale ?

Du génie physique à la physique théorique

Au secondaire, Frédéric Leblond se passionne davantage pour les lettres et les sports (il pratique assidûment le badminton et le tennis) que pour les sciences pures. Mais le jour où il se plonge dans la lecture d’un ouvrage d’Albert Einstein sur la relativité restreinte, il est absolument captivé. Au cégep, il découvre l’univers de Polytechnique par l’intermédiaire de son professeur de mathématiques, dont les enfants y étudient. Leurs discussions le convainquent de s’inscrire à Polytechnique.

« Je visais une spécialisation en aérospatiale, mais durant le tronc commun qui constituait à l’époque la première année de tous les programmes de génie de Polytechnique, je me suis senti plus intéressé par la physique. C’est donc dans ce domaine que j’ai fait mon baccalauréat », précise le Pr Leblond. Après son baccalauréat obtenu en 1996, Frédéric Leblond se tourne vers la physique des particules (coucou Einstein !), avec une maîtrise effectuée à l’Université Laval, puis un doctorat sur la théorie des cordes à l’Université McGill.

Percée majeure en génie biomédical

En 2003, direction Chicago pour ses études postdoctorales. C’est le début d’un épisode américain et d’une nouvelle voie dans le parcours du jeune chercheur. « À partir de 2005, j’ai travaillé au sein d’une jeune entreprise de technologies d’imagerie médicale. Puis, j’ai obtenu un poste de professeur adjoint en ingénierie biomédicale au Dartmouth College, qui fait partie de la prestigieuse Ivy League américaine. Tout marchait bien pour moi là-bas, mais au bout de quelques années, je m’ennuyais du Québec. J’ai été heureux d’obtenir un poste de professeur à Polytechnique en 2012. »

Le retour au Québec du Pr Leblond n’a en rien freiné l’ascension de sa carrière de chercheur en imagerie médicale, bien au contraire. Couplant spectroscopie et intelligence artificielle, il développe en collaboration avec le Dr Kevin Petrecca, de l’Institut-hôpital neurologique de Montréal (le « Neuro ») et du Centre universitaire de santé McGill, la fameuse sonde anticancer, élue Découverte scientifique de l’année en 2017 par Québec Science. Très maniable, cette sonde permet au chirurgien de détecter des cellules cancéreuses résiduelles dans les tissus en une fraction de seconde, avec une grande efficacité. Plusieurs autres instruments d’imagerie visant à améliorer l’efficacité des ablations de tumeurs seront par la suite développés par l’équipe du Pr Leblond et commercialisés par ODS Medical, l’entreprise qu’il a fondée avec le Dr Petrecca.

Transmission aux étudiants

« ODS Medical a pu se créer grâce à la réunion des bonnes personnes au bon moment. Moi, je ne suis pas un entrepreneur-né, déclare le Pr Leblond qui, jusqu’à l’an dernier, en était le chef technologique. Je m’intéresse plus aux aspects de la R & D qu’à la gestion quotidienne des activités de l’entreprise. C’est pourquoi je préfère contribuer à son développement grâce à mon laboratoire, dans le cadre d’une entente entre l’entreprise et Polytechnique. » Aujourd’hui, ODS Medical emploie 22 personnes et elle a pour partenaires plusieurs grandes entreprises. Elle étend aussi ses collaborations aux États-Unis et en Europe.

Cette expérience entrepreneuriale a enrichi sa pratique professorale, estime Frédéric Leblond. « Je peux transmettre des connaissances pratiques à mes étudiants, car je connais de près les mécanismes du développement d’entreprise. Le contenu de mon enseignement est teinté de cette réalité. Plutôt qu’un transmetteur de savoir théorique, je perçois mon rôle comme celui d’un mentor qui accompagne les étudiants vers le marché du travail. Et si mes anciens étudiants peuvent amener les solutions développées dans mon laboratoire dans les entreprises et le milieu hospitalier afin d’améliorer la pratique clinique de façon significative, ils réaliseront un de mes plus grands rêves de professeur », affirme-t-il, lui qui a été désigné en 2015 Personnalité de la semaine, puis de l’année, par le journal La Presse, lauréat du Prix d’excellence en recherche et innovation de Polytechnique Montréal en 2018, et auquel l’Ordre des ingénieurs du Québec a rendu un hommage en 2019. En janvier dernier, lui et la pathologiste Dominique Trudel ont remporté conjointement le Prix de la découverte de l’année au CRCHUM pour leurs travaux visant un nouveau test de dépistage clinique en pathologie pour détecter des variétés agressives du cancer de la prostate.

Nouveaux horizons en recherche

Depuis un an, le Pr Leblond explore une nouvelle avenue dans sa recherche : l’imagerie de biofluides pour la détection de maladies. « Le but principal de mes travaux, c’est de développer des solutions qui apportent des gains mesurables pour les patients. Je suis allé le plus loin qu’il m’était possible dans le domaine de l’instrumentation pour améliorer l’efficacité des interventions chirurgicales. Avec l’analyse automatisée d’images d’échantillons sanguins ou salivaires, par exemple, je souhaite maintenant développer des tests diagnostiques ultrarapides, simples, fiables, sans réactifs et peu coûteux », indique-t-il.

Véritable creuset d’innovations, le laboratoire du Pr Leblond n’a pas connu un seul moment de ralentissement malgré la pandémie, qui a été propice à l’obtention de subventions pour ses projets. « Les idées me viennent en discutant avec mon personnel, mes étudiants et d’autres chercheurs. L’échange est à la base de l’invention, remarque-t-il. C’est d’ailleurs le paradoxe du travail d’un chercheur : on ne peut l’accomplir dans la solitude même si d’un autre côté, on est seul à pouvoir attacher ensemble les différents aspects comme les demandes de subventions, la supervision des étudiants, la gestion des budgets, etc. »

Avec son équipe, il a mis au point un protocole spécifique pour imager des échantillons de biofluides à l’aide d’un spectroscope Raman et développe des algorithmes d’intelligence artificielle qui apprennent à détecter la signature d’une maladie dans les échantillons. Rapidement après le début de la pandémie, il a été ainsi en mesure de concevoir un test salivaire quasi instantané pour la COVID-19.

En collaboration avec la Dre Dominique Trudel du CRCHUM, où le Pr Leblond est chercheur régulier et gère des laboratoires, et la clinique de dépistage de Pointe-Saint-Charles (CIUSSS du Centre-Sud-de-l’Île-de-Montréal), son équipe a constitué une biobanque d’échantillons de salive qu’elle utilise pour ses travaux et qu’elle rendra aussi accessible à la communauté.

« Avec des spécialistes du CHU Sainte-Justine, dont le Dr Mathieu Dehaes, nous mettons aussi sur pied une banque d’images d’échantillons sanguins. En parallèle, avec le Dr Fred Saad, urologue, nous avons démarré une étude pour le dépistage précoce du cancer de la prostate grâce à l’imagerie d’échantillons urinaires. Un test qui reviendrait négatif permettrait d’épargner au patient des examens pénibles. »

Frédéric Leblond ne cesse donc jamais de penser, et de manière originale, à ce que ses connaissances peuvent amener à l’humain. On peut penser qu’Albert Einstein serait fier de lui.

 

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