
Le Magazine de Polytechnique Montréal
Les réseaux électriques du futur seront carboneutres et robustes
Besoins électriques à la hausse
Avec sa capacité installée de 40 850 MW, le Québec domine la production électrique canadienne. Une production « propre », puisque 94 % est fournie par les centrales hydroélectriques. Mais le Québec est très gourmand en électricité : sa consommation actuelle atteint 200 TWh par an, soit 40 % de la consommation d’électricité au Canada, alors qu’il représente moins de 23 % de la population du pays. Il est aujourd’hui estimé qu’il faudra plus de 100 TWh additionnels pour répondre à ses besoins d’ici 2050, atteindre la carboneutralité et continuer à exporter de l’électricité à ses voisins.
La pression de la demande et son engagement envers la neutralité carbone conduisent le Québec à intégrer de plus en plus d’autres sources d'énergies renouvelables telles que l'éolien et le solaire à son réseau électrique. Cette démarche n'est pas exempte de défis. « Le réseau électrique conventionnel était principalement basé sur des générateurs synchrones électromécaniques de grande taille, fournissant une production d'électricité prévisible et contrôlable. L’intégration de sources intermittentes et de dimensions variables, ainsi que de nouveaux équipements, complexifie grandement la gestion du réseau et peut affecter la stabilité de celui-ci », indique le Pr Jean Mahseredjian, du Département de génie électrique. Titulaire de la Chaire industrielle de recherche CRSNG/Hydro-Québec/RTE/EDF/OPAL-RT en simulation multi-échelle de temps des transitoires dans les réseaux électriques de grandes dimensions, celui-ci réalise des modèles mathématiques et des outils numériques de nouvelle génération pour étudier finement le comportement des réseaux, afin de les optimiser et d’en assurer la robustesse.

Pr Jean Mahseredjian, titulaire de la Chaire industrielle de recherche CRSNG/Hydro-Québec/RTE/EDF/OPAL-RT en simulation multi-échelle de temps des transitoires dans les réseaux électriques de grandes dimensions
Savoir intégrer les énergies renouvelables et variables au réseau
Le Pr Mahseredjian a développé un logiciel de modélisation (EMTP®) qui permet d’obtenir le jumeau numérique d’un réseau, reproduisant tous les éléments qui entrent en jeu : installations de production, lignes de transport, parcs d’éoliennes et photovoltaïques, transformateurs, convertisseurs, etc. « Cet outil nous permet d’étudier ce qu’il se passe dans l’ensemble du réseau lorsque surviennent des phénomènes transitoires causés par divers événements, comme la commutation d'équipements électriques, les courts-circuits, les variations de charges, les défaillances d'équipements, etc. Cette analyse approfondie aide à renforcer la protection des systèmes et à prévenir les pannes », mentionne-t-il.
Les réalisations du Pr Mahseredjian jouissent d’une reconnaissance internationale. Celui-ci collabore, par exemple, à un important projet de transformation du réseau électrique chilien, dont le bouquet énergétique est encore fortement carboné (en 2021, environ 44 % de l’offre énergétique provenait du pétrole, d’après l’Agence internationale de l’énergie). « Le Chili s’est fixé l’ambitieux objectif d’alimenter son réseau avec 100 % d’énergies renouvelables d’ici 2030. Il mise massivement sur l’énergie éolienne et le photovoltaïque », rapporte le chercheur.
La fermeture de centrales thermiques entraîne une perte d'inertie, nécessaire à la stabilisation du réseau face aux perturbations. « Le réseau à faible empreinte carbone risque donc d’être plus vulnérable aux variations rapides de la charge ou aux perturbations imprévues. Afin de pallier cela, des solutions de rechange telles que le stockage d'énergie et l'adoption de technologies émergentes reposant sur l'électronique de puissance sont actuellement explorées. Avec la base de données de modèles valides qu’elle a créée, mon équipe simule différents scénarios afin de déterminer rapidement la meilleure configuration du réseau et le choix optimal des équipements. »
La Chaire étudie, entre autres, le comportement des onduleurs de formation de réseau (onduleurs grid-forming ou GFM). Ces nouveaux dispositifs convertissent le courant continu généré par des sources d'énergie renouvelable en courant alternatif conforme aux normes du réseau, agissant de manière similaire aux générateurs synchrones traditionnels.
Les connaissances générées par la Chaire sont précieuses pour le Québec, qui donne un coup d’accélérateur à sa transition énergétique. Par exemple, la production de quelque 3,8 GW générée par les éoliennes pourrait être doublée d’ici 2030 et quadruplée d'ici 2040*.
« La forte effervescence dans le domaine de l’énergie nous apporte une manne de projets et de nombreux débouchés pour mes étudiants », se réjouit le Pr Mahseredjian.
* Course à l’énergie éolienne au Québec : « On bouscule tout le monde » - Radio-Canada, 14 août 2023.
En bref
- Pour répondre à la demande croissante et atteindre la neutralité carbone, le Québec intègre à son réseau électrique des sources d'énergies renouvelables telles que l'éolien et le solaire. L'intermittence et la variabilité de ces sources rendent plus complexe la gestion du réseau électrique.
- Le Pr Jean Mahseredjian a développé un outil permettant de réaliser le jumeau numérique d'un réseau électrique pour étudier les phénomènes transitoires et renforcer la protection des systèmes.
- La Chaire CRSNG/Hydro-Québec/RTE/EDF/OPAL-RT en simulation multiéchelle de temps des transitoires dans les réseaux électriques de grandes dimensions dirigée par le Pr Mahseredjian explore des solutions pour assurer la stabilité du réseau face aux perturbations afin de soutenir la transition énergétique du Québec.