
Le Magazine de Polytechnique Montréal
L’IRME UQAT-Polytechnique aide l’industrie minière à résoudre ses défis environnementaux
Grand Dossier

Un changement de vision grâce à la recherche collaborative

Michel Aubertin, professeur émérite au Département des génies civil, géologique et des mines de Polytechnique, est l’un des artisans de cette transformation. Au début des années 90, alors qu’il débutait sa carrière à Polytechnique, l’environnement, la gestion des rejets miniers et la géotechnique minière ne faisaient même pas encore partie de la formation des ingénieurs des mines, alors qu’ils sont devenus prioritaires durant la décennie suivante.
« À l’époque, il existait assez peu de solutions pratiques efficaces pour aider l’industrie à prévenir ou contrôler les problèmes liés aux réactions hydrogéochimiques à la base de la formation de drainage minier acide (DMA), ou encore les risques d’instabilité géotechnique des digues et des haldes. Les solutions utilisées alors comprenaient, par exemple, l’ennoiement des résidus miniers réactifs, qui nécessite la construction et le maintien de structures pour l’accumulation à très long terme de grandes quantités d'eau, et un traitement des eaux acides qui produit énormément de boues potentiellement instables », rappelle le Pr Aubertin.
En 2001, ce spécialiste de la géotechnique minière est devenu titulaire de la Chaire industrielle CRSNG Polytechnique-UQAT en environnement et gestion des rejets miniers, en collaboration avec l’équipe du Pr Bruno Bussière à l’UQAT, plusieurs compagnies minières, des firmes de consultants spécialisés et des agences gouvernementales. Renouvelé en 2006, le mandat de cette chaire a pris fin en décembre 2012. C’est pour répondre au souhait exprimé par les partenaires industriels de continuer à travailler avec les chercheurs réputés des deux universités que l’IRME UQAT-Polytechnique a été créé quelques mois plus tard, sous la direction scientifique des Prs Aubertin et Bussière. « La première phase de notre Chaire était essentiellement consacrée au développement de techniques de caractérisation et de solutions pour la prévention ou le contrôle des problèmes de nature hydrogéotechnique et géochimique. La majeure partie du travail se faisait à échelle réduite, en laboratoire. La deuxième phase a permis de tester nos concepts à plus grande échelle. Aujourd’hui, les équipes de l’IRME ont directement accès aux sites pour valider leurs approches. Par exemple, un des partenaires de l’IRME, Rio Tinto Fer et Titane, a collaboré aux travaux sur son site de la mine Tio, sur la Côte- Nord, pour la construction d’une halde à stériles instrumentée visant à évaluer une nouvelle technique de construction. Pour les étudiants impliqués dans de tels projets, c’est une expérience formatrice irremplaçable. »
Les partenaires de l’IRME UQAT-Polytechnique, c’est-à-dire Mines Agnico Eagle Ltée, Canadian Malartic GP, IAMGOLD Corporation, Rio Tinto Fer et Titane, Goldcorp-mine Éléonore et Mine Raglan, une compagnie de Glencore, fournissent à l’Institut une contribution industrielle de plus de 10 M$ répartis sur sept ans dans le but de soutenir le développement de nouvelles approches et la formation de nouvelles générations d’experts qui les aideront à relever les défis environnementaux qu’ils rencontrent sur leurs sites. « Les liens développés au fil des années avec l’industrie favorisent la relation de confiance avec les entreprises qui respectent notre indépendance de chercheurs, tout en assurant une écoute réciproque entre les partenaires », affirme le Pr Aubertin.
Solutions explorées pour la restauration des sites fermés

Les changements apportés à la réglementation au cours des dernières décennies prolongent désormais la responsabilité environnementale des entreprises minières bien au-delà de la fin de la période d'exploitation. À la fermeture d’une mine, l’entreprise doit remettre le site dans un état satisfaisant où toute génération de contaminants est contrôlée. Outre le démantèlement des infrastructures, cela implique la restauration des aires d'entreposage des rejets.
Les rejets miniers sont la principale source des problèmes environnementaux rencontrés par les entreprises minières. Ils se présentent sous forme de matières résiduelles incluant les roches stériles (déposées dans des haldes), de rejets de concentrateur (déposés dans des parcs à résidus), d’eaux de mines et de procédés ou encore de boues de traitement et de sédiments (conservés en bassins).
« Les stériles et les rejets de concentrateur qui contiennent des minéraux sulfureux peuvent s’oxyder lorsqu’ils sont exposés à l’eau et à l’air, et générer du drainage neutre contaminé (qu’on appelle DNC) ou du drainage minier acide (appelé DMA) ; on parle alors d’un problème de stabilité chimique. Un autre risque important lié à la gestion des résidus miniers est la potentielle instabilité physique des ouvrages de retenue. Les conséquences de cette instabilité peuvent être graves : qu’on pense au déversement désastreux de la mine du Mont Polley en Colombie-Britannique en 2014, à la suite de la rupture d'une digue du parc à résidus miniers. La restauration des sites vise donc à assurer la stabilité des rejets, physiques autant que chimiques », relate le Pr Bussière.
Les méthodes développées au cours des dernières années pour contrôler ces eaux contaminées ont surtout montré leur efficacité dans les sites en exploitation. Dans le cas des sites abandonnés, les rejets miniers sont exposés pendant de longues périodes aux conditions naturelles, ce qui rend les problématiques de restauration plus complexes. « Nous explorons actuellement diverses méthodes de restauration, comme les recouvrements visant à contrôler l’infiltration d’eau et la migration des gaz, de nouvelles conceptions de haldes, l’usage de la végétation pour favoriser l’évapotranspiration et l’intégration du site à l’environnement, ou encore la valorisation des rejets sur les sites », détaille le Pr Bussière.
Gestion intégrée des rejets
L’IRME valorise des approches innovantes de gestion intégrée des rejets selon le concept d’économie circulaire. « Plutôt que de se préoccuper des rejets après la fermeture d’un site seulement, l’approche veut qu’on les gère et les réutilise pendant l’exploitation, par exemple en les retraitant à l’usine pour enlever leur potentiel de contamination et en les entreposant dans des fosses à ciel ouvert ou dans des excavations, ou en co-disposant des roches stériles dans le parc à résidus sous forme d’inclusions drainantes. Les chercheurs de l’IRME évaluent l’efficacité de ces nouvelles méthodes et développent des techniques optimales pour les réaliser. L’expérience consiste, entre autres, à déposer les rejets de la mine Westwood dans la fosse de la mine Doyon, deux sites exploités par IAMGOLD à l’est de Rouyn-Noranda. Penser à la future fermeture de la mine lorsqu’on planifie son exploitation est une façon plus efficace de gérer ses impacts », estime le Pr Bussière.

Fosse Doyon
Sensibilisation aux changements climatiques et à la fragilité de certains milieux

Les chercheurs de l’IRME se préoccupent en outre de l’impact du drainage minier sur les milieux naturels fragiles, tels que ceux du Grand Nord. Leur objectif est de mieux comprendre comment les faibles températures et la salinité influencent la qualité des eaux de drainage issues des rejets miniers et l’efficacité du traitement passif du drainage minier dans les climats nordiques.
Mission de vulgarisation et concertation avec les communautés
La vision du développement responsable qui s’est répandue dans le monde minier a fait prendre conscience à ses acteurs de l’importance de l’acceptabilité sociale des projets. Un rapprochement avec les communautés locales est souhaité et l’IRME peut jouer un rôle à cet effet.
« En tant que chercheurs universitaires, nous avons la mission de partager les connaissances avec la population, souligne le Pr Pabst. Les sites d’exploitation et les sites abandonnés ont des impacts sur les communautés locales, incluant les Premières Nations qui vivent à proximité. Ces communautés ont besoin de connaître les enjeux des activités minières et de comprendre la portée des solutions proposées par l’IRME et de leurs applications. Elles ont aussi besoin d’un accompagnement pour vivre les changements et développer leur autonomie à l’égard des aspects technologiques des enjeux. Nous sommes également conscients que ces communautés possèdent elles aussi des savoirs et des connaissances des territoires qui pourraient beaucoup nous apporter. C’est donc un contexte d’échanges réciproques que nous souhaitons établir dans les prochaines années. »
Ingénieurs influenceurs
La collaboration entre Polytechnique, l’UQAT et l’industrie a permis de former des centaines de spécialistes aux expertises très pointues, possédant aussi une bonne connaissance des réalités des entreprises minières. Ces diplômés sont reconnus pour leur approche pratique et réaliste visant la solution de problèmes, leur rigueur méthodologique et leur maîtrise des outils expérimentaux.

Attirés à l’IRME par l’aspect très concret des travaux, près de 40 doctorants, une cinquantaine d’étudiants au DESS et à la maîtrise et de nombreux stagiaires forment la cohorte actuelle de l’Institut. Ces étudiants expérimentent autant le travail en laboratoire que les interventions sur le terrain. La hausse constante d’étudiantes aux cycles supérieurs fait en sorte que davantage de femmes prennent leur place sur les sites, ce qui contribue aussi à changer le visage de l’industrie.
Ouverture sur le monde
« Le rayonnement international de l’IRME s’affirme d’année en année. Aujourd’hui, le tiers des étudiants au baccalauréat stagiaires à l’IRME proviennent de l’Afrique francophone. Aux cycles supérieurs, le quart de nos étudiants sont originaires de l’extérieur du pays », observe la Pre Neculita, dont le propre parcours est lui-même caractéristique de ce rayonnement.
Originaire de Roumanie où elle travaillait comme ingénieure chimiste dans le domaine de la protection environnementale, Mme Neculita a poursuivi ses études supérieures au Québec au sein de la chaire du Pr Aubertin, sous la supervision des Prs Zagury et Bussière. Après avoir obtenu un doctorat en 2008, elle est partie enseigner en Corée du Sud, à KAIST (Korea Advanced Institute of Science and Technology). De retour au Québec en 2011, elle est devenue professeure à l’UQAT et s’est jointe par la suite à l’équipe de l’IRME.
« Mon expérience en Europe, en Asie et au Canada m’a confirmé que les préoccupations envers l’environnement sont devenues mondiales », témoigne-t-elle, mentionnant à titre d’exemple que, récemment, une entreprise japonaise, JOGMEC – Japan Oil, Gas and Metals National Corporation, a envoyé ses chercheurs rencontrer son équipe et que des collaborations en ont découlé. L’IRME, qui a déjà des projets en cours avec plusieurs pays (France, Maroc, Colombie, Tunisie, etc.), en développe aussi avec la Finlande et la Suède et prépare des projets de formation en environnement minier au Burkina Faso et au Sénégal. « L’IRME est sans doute l’institut de recherche le plus réputé au Canada dans le domaine de la restauration minière et de la gestion des rejets miniers. Son approche novatrice, héritée de la chaire du Pr Aubertin, trouve à s’appliquer partout sur la planète », termine la chercheuse.
Point de vue d’un partenaire industriel

Il ajoute que les étudiants de l’IRME forment un bassin prisé par les employeurs comme Agnico Eagle. « Au cours de leur projet de recherche, les étudiants sont très présents sur les sites, ils acquièrent donc une connaissance très concrète de nos défis. Au cours des dernières années, Agnico Eagle en a engagé un bon nombre dès la fin de leurs études. »
M. Lavoie rapporte que les équipes de l’IRME aident Agnico Eagle à faire face à ses défis en gestion des résidus miniers, en gestion de l’eau, ainsi qu’en gestion des sites post-exploitation. Depuis quelques années, la notion de changements climatiques a aussi été intégrée à cette collaboration. « Nous nous préoccupons particulièrement des impacts que pourraient avoir ces changements sur les activités nordiques en post-fermeture. Par exemple, remettront-ils en question le recouvrement tel qu’il est pratiqué à la fermeture des sites ? Ce sont des questions de ce type qui sont abordées et étudiées dans le cadre de notre partenariat avec l’IRME, car nous voulons nous assurer de l’efficacité à long terme des méthodes employées pour entreposer les résidus. Notre partenariat avec l’IRME nous aide à préparer l’avenir. »