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Électronique biodégradable : mise au point d’une recette pour imprimer de l’encre de seiche
Pourrait-on un jour assembler des composantes électroniques avec des matériaux biosourcés et biodégradables? Une équipe de Polytechnique Montréal y travaille. Elle vient d’ailleurs de dévoiler dans la revue PNAS un procédé d’impression qui permet d’envisager des dispositifs électroniques à base d’encre de seiche. Une percée qui nous rapproche un peu plus du jour où les produits électroniques termineront leur vie... en compost.

L’équipe de Polytechnique Montréal a mis au point un procédé pour imprimer la mélanine purifiée à partir d’encre de seiche. (Crédit Anthony Camus)
Les composantes électroniques que l’on trouve autour de nous existent parce qu’elles ont notamment répondu à des critères de performance, mais aussi de coût de fabrication. Pendant des années, le coût environnemental lié à la fin de vie d’un objet, lui, n’entrait pas dans le calcul.
Mais c’est en voie de changer.
Plusieurs chercheuses et chercheurs dans le monde tentent aujourd’hui d’identifier des alternatives pérennes afin de remplacer une partie des métaux et des matériaux inorganiques qui entrent dans la fabrication des circuits électroniques. C’est le cas de Clara Santato, professeure au département de génie physique à Polytechnique Montréal. Avec son groupe, elle tente de faire une place aux matériaux biosourcés - c’est-à-dire « extraits du vivant » - dans le monde de l’électronique.
« Notre objectif, ce n’est pas de remplacer des technologies performantes comme celles des micropuces électroniques conventionnelles », explique la professeure Santato. « On cible plutôt des dispositifs électroniques de base comme ceux que l’on trouve dans des capteurs qui surveillent l’environnement ou des aliments, ou qu’on pourrait retrouver dans l’électronique portable modulaire. »
L’une des pistes explorées cible une famille de molécules très abondantes sur la planète : les mélanines. Faits de nombreux cycles d’atomes de carbone, ces pigments brun-noirâtre servent normalement à protéger l’ADN de l’attaque des rayons UV. On en trouve dans la peau, les poils et les yeux de quantité d’animaux, incluant l’humain, mais aussi dans la pelure des bananes devenues trop mûres, notamment.
Les mélanines se concentrent aussi dans « l’encre » qu’expulsent les céphalopodes comme les calmars et les seiches lorsque ces animaux se sentent menacés. En raison de ses propriétés physicochimiques et de sa disponibilité, la mélanine contenue dans l’encre de seiche offre d’ailleurs de belles perspectives en électronique, selon l’équipe de Polytechnique Montréal.
Jusqu’à tout récemment, un problème empêchait toutefois qu’on envisage sérieusement de concevoir des dispositifs électroniques à partir de ce matériau. La mélanine contenue dans cette encre est insoluble lorsqu’on la purifie. Impossible de l’utiliser dans des procédés d’impression classiques. Ce problème est maintenant en voie d’être résolu grâce au groupe de recherche montréalais et à ses collaborateurs de l’Institut des communications graphiques et de l'imprimabilité (I-CI).
Une recette gagnante

Dans son article paru dans PNAS, l’équipe de Pre Santato a dévoilé sa solution au problème d’insolubilité de la mélanine issue d’encre de seiche.
Cette solution tient dans une recette et une courte liste d’ingrédients que vous ne retrouverez pas sur le site web de Ricardo. Outre des solvants organiques et un surfactant, le mélange renferme aussi un agent liant, le poly(butyral de vinyle) (PVB).
Selon Anthony Camus, premier auteur de l’article et doctorant au Département de génie physique, ce dernier ingrédient fait toute la différence.
« Le PVB nous permet de disperser les nano-granules de mélanine de façon homogène dans une encre qu’on imprime ensuite à grande échelle avec des techniques comme la flexographie qui est déjà utilisée par les industriels », explique-t-il.
Si ce n’était que de ça, ce serait déjà une belle avancée, mais les chercheurs ont eu droit à une belle surprise en inspectant leurs échantillons au microscope électronique.
« On a découvert que le liant joue aussi un rôle très important dans la distribution de la mélanine lorsqu’on l’imprime des couches minces », ajoute Anthony Camus. « Il confine les nano-granules de mélanine de façon à ce qu’elles forment un réseau conducteur en trois dimensions. »
Résultat : les granules maintiennent un contact suffisant pour transmettre l’électricité entre elles. Le groupe l’a d’ailleurs démontré dans son article.
Maintenant que cette étape importante est franchie, Clara Santato et son équipe tenteront d’identifier un agent liant possédant les mêmes propriétés que le PVB, mais qui sera tout aussi biodégradable que l’est la mélanine.
« De cette façon, on pourra produire une encre entièrement naturelle et potentiellement biodégradable », affirme son étudiant au doctorat. « Cette étude nous montre encore une fois que la nature est source de mystère et d'inspiration et qu’elle nous pousse à nous questionner sur notre environnement. »
Ont aussi contribué à l’article
Michael Rozel, Mariia Zhuldybina et Francesca Soavi
En savoir plus
Fiche d’expertise de Pre Clara Santato
L’article publié dans PNAS
Site web du Département de génie physique