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La naissance d'un lanceur «made in» Québec

03 août 2021 - Source : BLOGUE

 

Avant de réaliser un premier vol d’essai, l’équipe de Reaction Dynamics teste l’efficacité et la sécurité de son moteur hybride sur leur site de tests situé à Joliette. (Photo : Reaction Dynamics)

Trois ans après son passage à Polytechnique Montréal, Bachar Elzein se prépare maintenant pour un grand jour : le premier vol d’essai du lanceur de l’entreprise qu’il a fondée en 2016, Reaction Dynamics. Un pas de plus vers la mise en orbite par cette jeune pousse de nanosatellites et microsatellites, et ce, avec un impact sur l’environnement parmi les plus favorables dans l’industrie. Portrait d’une fusée commerciale made in Québec.

Lorsqu’il participait à des compétitions aux États-Unis avec la société technique Oronos de Polytechnique Montréal, Bachar Elzein n’hésitait pas à approcher les représentants des grandes sociétés du secteur comme SpaceX, Boeing ainsi que la NASA pour savoir comment il pourrait décrocher un stage chez elles.

L’équipe d’Oronos avait beau connaître du succès, remportant dans sa catégorie les éditions 2012, 2013 et 2014 de la Spaceport America Cup, mais impossible pour ses membres de joindre l’une des grandes organisations de l’industrie. Ces emplois étaient et sont encore strictement réservés à des citoyennes et citoyens américains pour des raisons de sécurité.

Coup de pouce de Polytechnique Montréal

Bachar Elzein (Photo : Reaction Dynamics)

Le jeune entrepreneur ne s’est pourtant pas découragé. D’une façon ou d’une autre, il allait trouver une façon de faire sa place dans ce secteur. « Quand tu as vu un moteur de fusée fonctionner de près, tu ne veux plus rien faire d’autre que de travailler là-dessus », dit-il d’ailleurs en souriant pour expliquer sa motivation.

C’est avec cette fixation en tête qu’il approche en 2015 Étienne Robert, professeur au Département de génie mécanique de Polytechnique Montréal. Son objectif : parfaire ses connaissances en dynamique de combustion et continuer ses projets dans un cadre de recherche scientifique.

« Je n’aurais pas pu mieux tomber », lance d’emblée l’entrepreneur de 31 ans. « Le professeur Robert est avant tout un expert en combustion et pour concevoir le moteur d’une fusée, il faut d’abord bien comprendre les différents types d’instabilités de combustion, les écoulements multiphasiques (NDLR : le mouvement des solides, liquides et gaz), comme ceux qu’on trouve typiquement dans une chambre de combustion. »

Bachar Elzein lance l’année suivante les activités de Reaction Dynamics alors qu’il a toujours un pied dans le laboratoire du professeur Robert. Son ambition : mettre en orbite des nanosatellites et des microsatellites avec un lanceur capable de transporter une charge utile allant jusqu’à 200 kilos.

L’entreprise établit d’abord ses quartiers dans l’Incubateur J.-Armand-Bombardier, situé dans le pavillon du même nom. Un espace de travail qui a aujourd’hui cédé sa place au service de soutien à l’entrepreneuriat de Polytechnique Montréal.

« Notre passage là-bas a été super formateur », confie l’entrepreneur. « On a d’une part rencontré des acteurs de l’écosystème entrepreneurial montréalais, mais aussi intéressé un de nos premiers investisseurs. »

Aujourd’hui basée à Saint-Jean-sur-Richelieu, Reaction Dynamics emploie une vingtaine d’employés.

Coup d'oeil sur... Les petits satellites

Les nanosatellites sont si petits qu’ils tiennent dans les mains. (Photo : NASAKennedy, licence CC 2.0)

La miniaturisation des composantes électroniques n’a pas servi qu’à réduire le poids des téléphones intelligents et autres ordinateurs portatifs. Des satellites de nouvelle génération utilisés notamment en télésurveillance, en géolocalisation ou même pour se brancher à Internet, ne font que quelques kilos.

Comme des boxeurs, on les classifie selon leur poids, les affublant d’un préfixe comme micro- (moins de 100 kilogrammes), nano- (moins de 10 kilogrammes), et même pico- (moins de 1 kg).

Au cours des dernières années, les sociétés publiques et privées souhaitant mettre en orbite ce genre de satellite se sont butées à une file d’attente considérable, les grands lanceurs étant d’abord réservés aux plus gros satellites.

Bachar Elzein fait le pari qu’il y aura une place dans le marché pour des petits lanceurs comme celui développé par son équipe. « Ce qu’on souhaite offrir, c’est l’équivalent d’un service de taxi au prix d’un déplacement en autobus », dit-il.

Vers un premier vol d'essai

Aliénor Lougerstay (Photo : Oronos Polytechnique)

Le lanceur que prévoit bientôt assembler l’équipe de Bachar Elzein se démarque des fusées Falcon de SpaceX par sa taille, beaucoup plus petite, mais aussi par son système de propulsion basé sur un moteur hybride.

Fonctionnant à partir d’un oxydant liquide (comme comburant) et d’un carburant solide à base de polymère, le moteur de Reaction Dynamics s’avère non seulement plus sécuritaire, mais aussi moins dommageable pour l’environnement que celui de ses compétiteurs, selon Aliénor Lougerstay, finissante en génie électrique à Polytechnique Montréal, directrice des opérations chez Reaction Dynamics et directrice sortante de la société technique Oronos.

« En considérant le cycle de vie de tous les éléments de notre système de propulsion, on rejette déjà environ 60 % moins de CO2 dans l’atmosphère que nos compétiteurs, pour une charge équivalente mise en orbite », affirme-t-elle. « On envisage en plus d’utiliser du plastique recyclé dans notre carburant, ce qui nous permettra de réduire notre empreinte suffisamment pour offrir la première alternative de lancement carboneutre. »

Reaction Dynamics a déposé trois brevets jusqu’ici pour protéger sa technologie.

Au cours des prochains mois, le groupe entend mener son premier vol d’essai. Une étape cruciale pour démontrer l’efficacité de son moteur, mais aussi sa capacité à guider la poussée et à gérer les opérations au sol.

« Il y a plusieurs sous-systèmes critiques dans une fusée» , indique Bachar Elzein. « C’est un grand jeu de compromis et d’optimisation où il n’y a aucune marge d’erreur, parce que dès que la fusée est lancée, il n’y a plus de retour possible. »

En parallèle, la jeune pousse espère boucler une ronde de financement qui lui permettra d’atteindre le jalon des vols commerciaux. « Une fois cette étape franchie, on se donne deux ans pour effectuer un premier vol orbital », confie le fondateur de Reaction Dynamics qui envisage éventuellement de réaliser de 4 à 6 lancements par année.

Le groupe bénéficie déjà de l’appui financier d’investisseurs externes ainsi que de l’agence spatiale canadienne (ASC) qui lui a octroyé une aide financière de 1,5 million de dollars afin de développer la chambre à combustion de son lanceur.

Coup d'oeil sur... la chambre à combustion d'un lanceur

Comme pour ses autres cousines, la fusée Prométhéus d’Oronos reposait sur un moteur hybride (Photo : Oronos Polytechnique)

Pour se maintenir en orbite autour de la Terre, les nano- et microsatellites doivent minimalement être relâchés à 250 kilomètres d’altitude. C’est 2,5 fois plus loin que les hauteurs atteintes par Jeff Bezos et Richard Branson lors de leur court périple dans l’espace.

Les lanceurs qui atteignent pareilles hauteurs s’appuient sur des moteurs particulièrement puissants qui canalisent l’énergie dégagée par la rencontre d’un carburant, d’un comburant et d’une source d’allumage.

Dans un moteur classique d’automobile ou d’avion, c’est l’oxygène contenu dans l’air qui agit comme comburant. Mais à plusieurs dizaines de kilomètres dans le ciel, l’oxygène gazeux se fait rare. Impossible donc de compter sur lui pour alimenter le moteur d’une fusée.

Comme pour le carburant, le comburant est donc inclus dans la fusée. Plusieurs combinaisons sont possibles. Dans un moteur à propulsion liquide, comburant et carburant sont réunis dans la chambre de combustion à l’état liquide, ce qui favorise une combustion efficace, mais viennent aussi de nombreux risques et beaucoup de complexité. Les moteurs à propulsion solide, eux, sont plus simples, mais posent aussi des enjeux de sécurité. Ils sont composés d’un mélange qui renferme à la fois un combustible et un comburant sous forme solide.

Le moteur de Reaction Dynamics, tout comme celui des derniers lanceurs d’Oronos, mise plutôt sur un moteur hybride où le carburant - un polymère solide dans leur cas - est mélangé à un oxydant sous forme liquide injecté dans la chambre de combustion.

Selon Aliénor Lougerstay, ce type de moteur a l’avantage de jumeler la sécurité des moteurs solides à la performance et au contrôle de la poussée des moteurs à comburant et carburant liquides.

C’est d’ailleurs le type de moteur qu’a adopté Oronos pour ses lanceurs dans le passé avec la contribution de Bachar Elzein. La société technique a connu du succès à nouveau en juin 2019 en remportant la première place dans la catégorie des lanceurs de 10 000 pieds (3 kilomètres) à la Spaceport America Cup, la plus grande compétition du genre sur la planète. Le groupe prévoit maintenant jouer dans la catégorie des grands et prépare un lanceur qui pourrait grimper jusqu’à 30 000 pieds (9 kilomètres). Du jamais vu, le record de la compétition étant d’environ 17 000 pieds.

En savoir plus

Site de Reaction Dynamics
Présentation TedX Talks de Bachar Elzein au sujet des systèmes de propulsion des fusées
Site de la société technique Oronos
Fiche d'expertise du professeur Étienne Robert
Site du Département de génie mécanique

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